Mais pourquoi la gouvernance touristique au Maroc est-elle toujours malade?


Rédigé le Lundi 25 Aout 2025 à 13:50 | Lu 68 commentaire(s)

Depuis 2001, le Maroc a formulé pas moins de trois grandes visions touristiques nationales : Vision 2010, Vision 2020 et la feuille de route 2023–2026. Chacune affichait des ambitions louables : cap clair, objectifs chiffrés, volonté de structurer le secteur, d’attirer 20 millions de touristes et de faire du tourisme un dynamo fiable de croissance.


Mais malgré ces bonnes intentions, les résultats restent malheureusement en deçà. Il est vrai que certaines destinations, comme Marrakech ou Agadir ont tiré leur épingle du jeu, mais d’autres régions aux potentiels énormes, comme le Drâa-Tafilalet, Ouarzazate, Béni-Mellal ou l’Oriental, ont été laissées arbitrairement pour compte.

Le problème ? Il n’est ni dans la stratégie, ni dans le manque de ressources naturelles ou culturelles. Il réside ailleurs, plus profondément, dans la gouvernance. Un mot souvent évoqué, rarement assumé. Derrière les slogans, l’ego démesuré de certains décideurs, le calcul à courte vue de certains professionnels, imposer une enseigne ou une personne décisionnelle dans des postes importants sans souvent qu’elle en soit habilitée et l’absence de leadership local structurant ont durablement freiné les efforts. Et ce, malgré les alertes lancées dès le milieu des années 2000.

Mais comment on est arrivé là ? Qu’est-il arrivé ?

Primo, Vision 2010 (lancée en 2001) voulait hisser le Maroc dans le Top 20 des destinations mondiales. Elle reposait sur deux fondements: le Plan Azur et la libéralisation de l’aérien. Les chiffres officiels annonçaient des réussites, mais la réalité fut inégale : seules deux stations sur six du Plan Azur ont vu partiellement le jour (Saïdia, Mazagan), les autres sont restées à l’état de friches ou de chantiers interrompus (Lixus, Plage Blanche…).

Secundo, Vision 2020, plus ambitieuse, prévoyait de doubler les arrivées touristiques et d’impliquer davantage les régions. Or, faute de décentralisation réelle, la vision s’est heurtée à la rigidité des circuits de décision, au manque de suivi, et à l’incapacité de certaines régions à porter leurs propres projets.

Tertio, la récente feuille de route 2023–2026, plus modeste mais pragmatique, reconnaît les erreurs passées. Mais peut-elle réussir sans une refonte de la gouvernance territoriale ? Rien n’est moins sûr.

Derrière ces blocages, un mal en sourdine a gangréné les mécanismes de mise en œuvre : l’égo de certains hauts responsables et le manque de vision partagée des opérateurs du secteur.

Les rivalités institutionnelles, notamment entre les différents ministères, agences nationales (ONMT, SMIT, etc) et les collectivités territoriales, ont généré des doublons, des retards, voire des abandons de projets stratégiques.

Certains opérateurs touristiques, concentrés sur leur intérêt immédiat, ont défendu une approche purement commerciale, sans penser écosystèmes régionaux ni développement partagé.

Le résultat ? Des régions entières sont restées à l’écart des investissements structurants, tandis que les budgets promotionnels se concentraient sur les destinations déjà établies.

L’exemple de la région Drâa-Tafilalet est l’un des plus frappants. Véritable trésor touristique (kasbahs, vallées, désert, oasis, patrimoine cinématographique), elle dispose de ressources uniques à l’échelle mondiale. Pourtant elle arrive en queue du classement national en termes de revenu par habitant : moins de 10 000 MAD/an, soit la moitié de la moyenne nationale. Elle est quasi absente des grandes campagnes internationales de l’ONMT et son accessibilité reste désastreuse, pas de lignes aériennes directes régulières vers l’Europe, liaisons intérieures peu attractives et routes longues, mal entretenues, sans alternatives rapides.

Ce retard s’explique en partie par un découpage administratif mal pensé. La création de Drâa-Tafilalet comme région, isolée des pôles dynamiques comme Marrakech ou Fez, a conduit à une fragilisation de son poids politique dans les négociations nationales. L’absence d’un leadership régional fort et audible a aggravé la situation.

Un des principaux freins à l’émergence de nouvelles destinations reste sûrement la faible connectivité aérienne. Le rôle ambigu de Royal Air Maroc est au cœur des critiques. Elle reste surtout centrée sur Casablanca et ne répond que très marginalement aux besoins des régions touristiques secondaires. De leur côté, les professionnels dénoncent une absence d’écoute et de collaboration de la part de la compagnie, que ce soit pour l’ouverture de lignes saisonnières ou la coordination avec les autorités locales.

Sans vols réguliers, fiables, et à coût raisonnable, des villes comme Errachidia, Ouarzazate, Tétouan ou Zagora resteront déconnectées de la dynamique touristique nationale et donc exclues du développement.

Le problème est également structurel : les régions, ni non plus la majorité des CRTs, n’ont ni les budgets, ni les prérogatives, ni l’expertise pour piloter une politique touristique ambitieuse. La décentralisation annoncée depuis plus de dix ans reste inaboutie. Sans dire que peu de CRI et de chambres de commerce disposent de cellules spécialisées tourisme. D’autant plus que les Conseils régionaux, élus mais souvent politisés, manquent de stratégie, de continuité et de capacité d’exécution. Qui plus est, les walis et gouverneurs, parfois moteurs, sont limités par des mandats administratifs peu connectés au terrain économique.

Il est donc clair que cette dichotomie entre ambition nationale et vide territorial aboutit à une situation paradoxale. Oui, le Maroc possède des régions exceptionnelles sur le plan touristique, mais qui ne génèrent aucune richesse locale pérenne.

Ce que révèle l’échec partiel des visions touristiques successives, c’est , qu’on l’admette ou pas, l’absence de dispositifs d’exécution solides, transparents, décentralisés et inclusifs. Sans réformes structurelles de la gouvernance touristique, notamment au niveau régional, les ambitions les plus nobles resteront suspendues dans les PowerPoints ministériels.

Le Maroc n’a pas besoin de davantage de visions. Il a besoin d’acteurs qui mettent en œuvre, qui coopèrent, et qui redonnent une voix aux territoires oubliés.

Source:  /premiumtravelnews.com   par mustapha amal